Depuis la plage de St Sulpice, où la Venoge se jette dans les bras du bleu Léman, selon les célèbres paroles de Gilles dans son légendaire poème sur ce fleuve vaudois, le sentier, après avoir traversé un peu de bitume, devient sauvage, malgré que nous soyons en pleine ville. Le bruit des voitures a disparu, remplacé par le chant des canards, grèbes et autres palmipèdes qui se promènent comme nous, par deux, laissant présager la saison des amours...
Un éclair de couleur vive fait un passage rapide au dessus des flots, avant de revenir et disparaitre au coude de la rivière. Un magnifique Martin Pêcheur vient de nous dire bonjour !!
Les crues passées ont laissés de nombreuse traces sur les berges, rongées par la force du courant, et des amas de bois et troncs d'arbres parsèment encore le lit de la rivière. L'eau a du monter bien haut...
Là, ce sont les castors qui sont venu grignoter les arbres...
Sous le pont de l'autoroute, les fresques sont nombreuses, et une ailes
delta permet de s'évader un peu au dessus de la rivière.Le pic nic se fera juste avant d'arriver à Bussigny, entre les arbres et au soleil, bercé par le chant de la Venoge, en écoutant le poème de Gilles ! avant de refaire le même sentier pour le retour avec une pause sur la plage sablonneuse de St Sulpice !
LA VENOGE
On a un bien joli canton:
Des veaux, des vaches, des moutons,
Du chamois, du brochet, du cygne;
Des lacs, des vergers, des forêts,
Même un glacier, aux Diablerets;
Du tabac, du blé, de la vigne,
Mais jaloux, un bon Genevois
M'a dit, d'un petit air narquois,
- Permettez qu'on vous interroge:
Où sont vos fleuves, franchement?
Il oubliait tout simplement
La Venoge!
Un fleuve? En tout cas, c'est de l'eau
Qui coule à un joli niveau.
Bien sûr, c'est pas le fleuve Jaune
Mais c'est à nous, c'est tout vaudois,
Tandis que ces bons Genevois
N'ont qu'un tout petit bout du Rhône.
C'est comme: "Il est à nous le Rhin!"
Ce chant d'un peuple souverain,
C'est tout faux! Car le Rhin déloge,
Il file en France, aux Pays-Bas,
Tandis qu'elle, elle reste là,
La Venoge!
Faut un rude effort entre nous
Pour la suivre de bout en bout;
Tout de suite on se décourage,
Car, au lieu de prendre au plus court,
Elle fait de puissants détours,
Loin des pintes, loin des villages.
Elle se plaît à traînasser,
À se gonfler, à s'élancer
- capricieuse comme une horloge –
Elle offre même à ses badauds
Des visions de Colorado!
La Venoge!
En plus modeste évidemment.
Elle offre aussi des coins charmants,
Des replats, pour le pique-nique.
Et puis, la voilà tout à coup
Qui se met à fair' des remous
Comme une folle entre deux criques,
Rapport aux truites qu'un pêcheur
Guette, attentif, dans la chaleur,
D'un œil noir comme un œil de doge.
Elle court avec des frissons.
Ça la chatouille, ces poissons,
La Venoge!
Elle est née au pied du Jura,
Mais, en passant par La Sarraz,
Elle a su, battant la campagne,
Qu'un rien de plus, crénom de sort!
Elle était sur le versant nord!
Grand départ pour les Allemagnes!
Elle a compris! Elle a eu peur!
Quand elle a vu l'Orbe, sa sœur
- elle était aux premières loges –
Filer tout droit sur Yverdon
Vers Olten, elle a dit "pardon!"
La Venoge!
"Le Nord, c'est un peu froid pour moi.
J'aime mieux mon soleil vaudois
Et puis, entre nous: "je fréquente!"
La voilà qui prend son élan
En se tortillant joliment,
Il n'y a qu'à suivre la pente,
Mais la route est longue, elle a chaud.
Quand elle arrive, elle est en eau
- face aux pays des Allobroges –
Pour se fondre amoureusement
Entre les bras du bleu Léman,
La Venoge!
Pour conclure, il est évident
Qu'elle est vaudoise cent pour cent!
Tranquille et pas bien décidée.
Elle tient le juste milieu,
Elle dit: "Qui ne peut ne peut!"
Mais elle fait à son idée.
Et certains, mettant dans leur vin
De l'eau, elle regrette bien
- c'est ma foi, tout à son éloge –
Que ce bon vieux canton de Vaud
N'ait pas mis du vin dans son eau…
La Venoge!
Port-Manech, juillet 1954
© Fondation Jean Villard-Gilles
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